Lorsqu’un propriétaire met en vente un bien immobilier situé dans une zone spécifique d’une commune, il peut se voir confronté à un mécanisme juridique particulier : le droit de préemption urbain. Cet outil de politique foncière confère à une collectivité publique, le plus souvent la mairie, la faculté d’acquérir en priorité ce bien, se substituant ainsi à l’acquéreur initialement pressenti. Loin d’être une expropriation, cette procédure encadrée par le code de l’urbanisme vise à permettre la réalisation de projets d’intérêt général, mais elle impose des démarches précises tant pour le vendeur que pour la puissance publique.
Comprendre le droit de préemption urbain
Définition et objectifs du DPU
Le droit de préemption urbain (DPU) est un instrument juridique qui permet à une personne publique d’acquérir un bien immobilier par priorité sur tout autre acheteur, lorsque ce bien est mis en vente par son propriétaire. La finalité de ce droit n’est pas de contrôler le marché immobilier, mais de donner aux collectivités les moyens de mener à bien leurs politiques d’aménagement. Les objectifs poursuivis sont définis par le code de l’urbanisme et doivent toujours relever de l’intérêt général.
Parmi les actions les plus courantes justifiant l’usage du DPU, on retrouve :
- La mise en œuvre d’un projet urbain ou d’une politique locale de l’habitat.
- Le développement des activités économiques, la création d’équipements collectifs ou de loisirs.
- La réalisation de logements sociaux et la lutte contre l’insalubrité.
- La sauvegarde ou la mise en valeur du patrimoine bâti ou non bâti.
- La constitution de réserves foncières pour de futurs aménagements.
Les zones concernées par le DPU
Le droit de préemption urbain ne s’applique pas sur l’ensemble du territoire d’une commune. Il est institué sur des périmètres précis, définis par une délibération du conseil municipal. Ces zones sont généralement celles où la collectivité anticipe des besoins d’aménagement. Elles sont le plus souvent délimitées dans le cadre du Plan Local d’Urbanisme (PLU) ou d’un document d’urbanisme en tenant lieu. La décision de créer une zone de préemption doit faire l’objet d’une publicité pour informer les citoyens, notamment par un affichage en mairie et une publication dans la presse locale.
Qui est titulaire de ce droit ?
Le titulaire principal du droit de préemption urbain est la commune sur le territoire de laquelle le bien est situé. Cependant, cette compétence peut être transférée ou déléguée. Lorsqu’une commune fait partie d’un Établissement Public de Coopération Intercommunale (EPCI), comme une communauté de communes ou une métropole, celui-ci peut devenir le titulaire du droit si la compétence en matière de PLU lui a été transférée. De plus, le titulaire du droit (commune ou EPCI) peut déléguer son exercice à un autre organisme public pour la réalisation d’opérations spécifiques, par exemple à un établissement public foncier, une société d’économie mixte ou un organisme HLM.
La connaissance précise des zones et des objectifs du DPU est donc un préalable indispensable avant d’aborder la procédure administrative qui en découle, initiée par une démarche obligatoire du vendeur.
Le rôle de la déclaration d’intention d’aliéner
La DIA : une démarche obligatoire
Dès lors qu’un bien est situé dans un périmètre de préemption, son propriétaire ne peut le vendre librement. Avant de signer l’acte de vente définitif, il a l’obligation légale de purger le droit de préemption. Cette démarche passe par l’envoi d’un document officiel à la mairie (ou au titulaire du droit) : la déclaration d’intention d’aliéner, plus connue sous l’acronyme DIA. C’est généralement le notaire chargé de la vente qui s’occupe de cette formalité. Omettre cette déclaration peut entraîner la nullité de la vente pendant une durée de cinq ans.
Contenu et formalisme de la déclaration
La DIA n’est pas une simple lettre. Il s’agit d’un formulaire administratif Cerfa qui doit être rempli avec une grande précision. Il constitue une véritable offre de vente adressée à la collectivité. Ce document doit impérativement mentionner des informations essentielles sur la transaction envisagée :
- L’identité complète du vendeur.
- La désignation précise du bien (adresse, références cadastrales, description).
- Le prix de vente et les conditions de la transaction (paiement comptant ou à terme, etc.).
- Les informations relatives à l’acquéreur pressenti, bien que cela ne soit pas obligatoire.
Toute information manquante ou erronée peut rendre la déclaration incomplète et empêcher le délai de réponse de la mairie de commencer à courir.
Le point de départ du délai de réponse
La réception en mairie d’une DIA complète déclenche un délai de deux mois. C’est durant cette période que la collectivité doit faire connaître sa décision. L’envoi de la DIA se fait généralement par lettre recommandée avec accusé de réception ou par dépôt contre décharge pour avoir une preuve de la date de départ de ce délai. Si la mairie estime que le dossier est incomplet, elle peut demander des pièces complémentaires, ce qui suspendra le délai jusqu’à leur réception.
Une fois la DIA correctement déposée, la collectivité dispose donc de deux mois pour analyser l’opportunité d’acquérir le bien et pour formaliser sa réponse, engageant ainsi la suite du processus.
Processus de mise en œuvre du droit de préemption
La décision de la collectivité
À la suite de la réception de la DIA, trois scénarios sont possibles pour le titulaire du droit de préemption. Il peut soit renoncer à son droit, soit garder le silence, soit décider de préempter. La renonciation peut être expresse, par un courrier adressé au vendeur avant la fin du délai de deux mois. Le silence gardé par la collectivité au-delà de ce délai vaut également renonciation ; on parle alors de renonciation tacite. Dans ces deux cas, le propriétaire est libre de vendre son bien à l’acquéreur initial, aux prix et conditions indiqués dans la DIA. La troisième option est la décision de préempter, qui doit être notifiée par lettre recommandée avec accusé de réception.
La motivation de la décision de préempter
Une décision de préemption ne peut être arbitraire. Elle doit être impérativement motivée. Cela signifie que la collectivité doit expliquer précisément le projet d’intérêt général qui justifie l’acquisition du bien. Une motivation vague comme « constitution de réserves foncières » sans autre précision est insuffisante. La décision doit faire référence à un projet réel et concret, en lien avec les objectifs définis lors de la création de la zone de DPU. Un défaut de motivation peut être invoqué par le vendeur pour demander l’annulation de la décision de préemption devant le tribunal administratif.
Les biens exclus du champ d’application
Certaines transactions immobilières échappent au droit de préemption urbain, même si le bien est situé dans une zone de DPU. C’est notamment le cas pour :
- Les successions et les donations (sauf exceptions pour les donations déguisées).
- Les bâtiments neufs, pour les ventes réalisées dans les quatre ans suivant leur achèvement (sauf délibération contraire).
- Les parts de sociétés civiles immobilières (SCI), sauf si elles visent à masquer une vente immobilière classique.
- Les biens faisant l’objet d’une convention avec l’État pour la construction de logements sociaux.
Si la collectivité décide d’exercer son droit, la question centrale qui se pose alors est celle du prix, un point qui peut mener à des négociations ou à des désaccords.
Modalités de fixation du prix de vente
Acceptation du prix proposé dans la DIA
Le cas de figure le plus simple est celui où la collectivité publique décide de préempter aux prix et conditions fixés dans la déclaration d’intention d’aliéner. La vente est alors considérée comme parfaite. L’acte authentique de vente doit être signé dans un délai de trois mois suivant cette décision. Le paiement du prix doit intervenir à la date de la signature de l’acte. Passé ce délai, le vendeur peut reprendre sa liberté de vendre à l’acquéreur de son choix.
La proposition d’un prix inférieur
La collectivité peut également juger que le prix demandé dans la DIA est surévalué par rapport au marché ou à l’estimation réalisée par le service des Domaines (Direction de l’Immobilier de l’État). Dans ce cas, elle peut notifier au vendeur une décision de préemption mais en proposant un prix inférieur. Cette contre-offre doit être envoyée dans le délai de deux mois suivant la réception de la DIA.
Les options du vendeur face à une contre-offre
Face à une offre à un prix revu à la baisse, le propriétaire dispose d’un délai de deux mois pour faire connaître sa position. Plusieurs choix s’offrent à lui, chacun ayant des conséquences distinctes.
Option du vendeur | Conséquence |
---|---|
Accepter le prix proposé par la collectivité | La vente se réalise au nouveau prix. L’accord est définitif. |
Maintenir son prix initial (par courrier) | Le désaccord sur le prix est acté. La collectivité devra saisir le juge. |
Renoncer à la vente (explicitement) | La procédure s’arrête. Le propriétaire conserve son bien. |
Garder le silence pendant deux mois | Le silence est interprété comme une renonciation à la vente. |
Le refus du vendeur d’accepter le prix inférieur ou son souhait de maintenir son offre initiale ouvre la voie à une phase contentieuse pour trancher le différend.
Résolution des désaccords sur le prix
La saisine du juge de l’expropriation
Lorsque le vendeur refuse l’offre de la collectivité et maintient son prix, cette dernière dispose d’un délai très court de 15 jours pour saisir le juge de l’expropriation, une formation spécialisée du tribunal judiciaire. Si la collectivité ne saisit pas le juge dans ce délai, elle est considérée comme ayant renoncé à son droit de préemption. Le propriétaire peut alors vendre son bien au prix qu’il avait initialement fixé dans la DIA.
Comment le juge fixe-t-il le prix ?
Le rôle du juge de l’expropriation est de déterminer la valeur vénale du bien. Pour cela, il ne se base ni sur le prix de la DIA, ni sur l’offre de la collectivité. Il fonde sa décision sur des termes de comparaison, c’est-à-dire sur le prix de transactions récentes portant sur des biens similaires dans le même secteur géographique. Il peut ordonner une visite des lieux et s’appuyer sur les conclusions d’un expert. Le prix est fixé à la date de la décision de première instance.
L’issue de la procédure judiciaire
Une fois le prix fixé par le juge, la partie n’est pas terminée. Le vendeur et la collectivité disposent d’un nouveau délai de deux mois pour accepter ou renoncer à la vente à ce prix judiciaire. Si les deux parties acceptent, la vente est conclue. Si l’une ou l’autre renonce, la vente n’a pas lieu et la procédure de préemption est annulée. Si c’est la collectivité qui renonce, le propriétaire retrouve sa liberté. Il peut alors vendre son bien à un tiers, mais pendant cinq ans, il ne pourra pas le vendre à un prix supérieur à celui fixé par le juge, révisé en fonction de l’indice du coût de la construction.
Le DPU, bien que le plus connu, n’est qu’un des multiples visages du droit de préemption en France, d’autres dispositifs existant pour des objectifs plus ciblés.
Autres types de droits de préemption en France
Le droit de préemption dans les ZAD
Le droit de préemption en Zone d’Aménagement Différé (ZAD) est un outil plus ancien que le DPU. Il est institué par le préfet sur de vastes périmètres pour des projets d’aménagement d’envergure. Ce droit, valable pour une durée de six ans renouvelable, permet à la collectivité de préempter tout type de bien immobilier lors de sa vente. Il est souvent utilisé pour maîtriser le foncier en amont de grandes opérations d’urbanisme (création d’un nouveau quartier, zone d’activité, etc.).
Le droit de préemption sur les fonds de commerce et baux commerciaux
Afin de préserver la diversité commerciale et artisanale des centres-villes, les communes peuvent délimiter un périmètre de sauvegarde du commerce et de l’artisanat de proximité. À l’intérieur de ce périmètre, elles disposent d’un droit de préemption sur les fonds artisanaux, les fonds de commerce, les baux commerciaux et les terrains portant ou destinés à porter des commerces. L’objectif est d’éviter la disparition des commerces de proximité au profit d’activités tertiaires et de pouvoir rétrocéder le fonds ou le bail à un commerçant ou artisan dont l’activité est jugée préférable.
Le droit de préemption dans les Espaces Naturels Sensibles (ENS)
Ce droit n’est pas détenu par la commune mais par le département. Il s’applique dans des zones à forte valeur écologique ou paysagère, classées en Espaces Naturels Sensibles. Le but est de préserver la qualité des sites, des paysages et des milieux naturels, et d’aménager ces espaces pour qu’ils soient ouverts au public. Ce droit permet au département d’acquérir des terrains, des forêts ou même des plans d’eau pour en assurer la protection à long terme.
Type de droit | Titulaire principal | Objectif principal | Zone d’application |
---|---|---|---|
DPU (Droit de Préemption Urbain) | Commune / EPCI | Aménagement urbain | Zones U et AU du PLU |
ZAD (Zone d’Aménagement Différé) | Collectivité publique (via le Préfet) | Grands projets d’aménagement | Périmètre défini par arrêté préfectoral |
ENS (Espaces Naturels Sensibles) | Département | Protection de l’environnement | Périmètre défini par le département |
Le droit de préemption urbain est un instrument puissant d’aménagement du territoire, dont la mise en œuvre est strictement balisée par la loi. De la déclaration d’intention d’aliéner, étape incontournable pour le vendeur, à la décision motivée de la collectivité, chaque phase est encadrée par des délais et des obligations précis. La fixation du prix, point souvent névralgique, peut faire l’objet d’une négociation ou, à défaut, d’une intervention judiciaire garantissant un équilibre entre l’intérêt général et le droit de propriété. Comprendre ce mécanisme, ainsi que les autres droits de préemption existants, est essentiel pour tout acteur du marché immobilier opérant dans les périmètres concernés.
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